À propos

Trois périodes

Deux pièces sociétales, de factures traditionnelles, les deux premières :
SANS PÈRE (au sens de la période politique)
IVANOV

Deux pièces qui entrent en collision avec la dramaturgie traditionnelle et ouvrent des perspectives nouvelles pour un théâtre à venir :
LA MOUETTE
ONCLE VANIA

Deux pièces de troupe (écrites pour le Théâtre d’Art de Moscou),
les deux dernières :

TROIS SŒURS
LA CERISAIE

Et aussi neuf pièces en un acte :
SUR LA GRAND ROUTE – étude dramatique
LE CHANT DU CYGNE – étude dramatique
LA DEMANDE EN MARIAGE – plaisanterie
TATIANA REPINA – plaisanterie
LA NOCE – comédie
TRAGÉDIEN MALGRÉ LUI – plaisanterie
UN JUBILÉ – plaisanterie
L’OURS – plaisanterie
DE LA NOCIVITÉ DU TABAC – monologue

Tchekhov interroge nos capacités

Quelle forme pour quel théâtre aujourd’hui ?
« Il faut des formes nouvelles. Des formes nouvelles, voilà ce qu’il faut, et s’il n’y en a pas,
alors tant qu’à faire, plutôt rien. » (La Mouette – acte 1 – Treplev à Sorine).

Changer la façon de faire ne suffit pas si elle ne met pas en perspective
une autre façon de regarder et de voir.
Faire bouger celui qui regarde, le faire changer de point de vue.
Si le spectateur naissant est l’homme même, la mort du spectateur est la mort
de l’humanité.
Comme le dit Marie-José Mondzain: « C’est la barbarie qui menace un monde
sans spectateur ».

Mettre en scène Tchekhov, aujourd’hui, c’est prendre en charge
pleinement cette nécessité et son questionnement.


Il y a toujours un modèle chez Tchekhov.
Nous sommes souvent en deçà de celui-ci.
Les tragédies sont pourtant les mêmes, pas inférieures.
Il ne s’agit que de la mort chez Tchekhov…
Mais pas de la mort toujours représentée comme le sujet même de la représentation théâtrale. Nous savons que nous devons mourir et nous n’avons pas forcément besoin
du théâtre pour nous le dire ou nous le rappeler. Non, il s’agit du vrai sens
de la représentation, de la vraie raison du théâtre :
Pourquoi on ne sait pas pourquoi on va mourir.

Pas de psychologie, pas de pathos, pas de personnage

Tchekhov - Benedetti - La mouette 2011
Des rôles et des structures de pensées à l’intérieur d’une structure globale.
Comment représenter ce qui semble irreprésentable ?
Non seulement changer la façon de faire, mais tenter de changer la façon de regarder.
Déplacer le spectateur de sa fonction, l’obliger à changer de « point de vue », à regarder à côté… Juste à côté. Regarder le « caché » le « en dessous », car il n’est question que de cela.
« Être un humain, c’est produire la trace de son absence sur la paroi du monde et se constituer comme sujet qui ne se verra jamais comme un objet parmi les autres mais qui, voyant l’autre, lui donne à voir ce qu’ils pourront partager : des signes, des traces, des gestes d’accueil et de retrait. », nous dit Marie-José Mondzain.
Même si on ne nous montre pas tout, savons-nous voir ce qu’on nous montre afin de comprendre et penser ce que l’on ne nous montre pas ?
S’il disait que ses pièces étaient des comédies, c’est, selon moi, parce qu’il pensait qu’elles devaient se jouer dans un rythme de comédie, vite, vite, vite.
Créer des collisions signifiantes…
LES PREMIÈRES RÉPLIQUES
DE LA PREMIÈRE PIÈCE…
LA DERNIÈRE RÉPLIQUE
DE LA DERNIÈRE PIÈCE…
TOUT EST LÀ.
Anna Petrovna – Quoi ? Triletski – Rien // Firs – … … … Et toi l’inapte! …

Les pauses

Tchekhov est le premier à aller si loin dans la notion de partition musicale.
Les pauses sont écrites et mises en exergue dans le manuscrit.
Des collisions signifiantes … la persistance rétinienne et acoustique.
Là où l’on a trop à dire.
L’espace de temps où tout peux basculer, espace de bifurcation, de la pensée pure, de dialogue avec les spectateurs.
Le théâtre ce n’est pas les mots interrompus par le silence, mais bien l’inverse : le silence interrompu par les mots.
Il n’y a pas de réponses toutes faites.
Alors le prendre au pied de la lettre : «Il faut effrayer le public, c’est tout, il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus».
Et que dire de plus que Tchekhov lui-même lorsqu’on l’interrogeait ?
Il montrait le manuscrit et : « Écoutez j’ai tout écrit … c’est là-dedans ! »

L'espace

Tchekhov le décrit précisément (les lieux, les objets).
L’esthétique théâtrale de l’époque y trouvait son compte.
Aujourd’hui laissons au cinéma le soin de reconstituer ce passé perdu et laissons au théâtre le soin de le réinventer.
Un principe scénographique unique, allusif, indicatif.
Lorsque nous arrivons dans un théâtre, le régisseur de l’endroit dispose,pour les répétitions, un espace provisoire, fait de bouts d’autres ayant déjà servis…
Un tracé au sol…
Ces fragments et ce tracé deviennent alors notre espace.
Ce « pas fini », ce provisoire, c’est le théâtre même…
« Détester, avec la lucidité toute relative de ma raison, toute scénographie qui ne soit pas uniquement indicative », comme le disait Pasolini.
Juste ce qui est nécessaire pour mettre en lumière le sens, montrer la pensée.
C’est au spectateur à reconstituer le puzzle et à colorier tout cela, ou de le laisser en noir et blanc ou d’en faire l’esquisse…
« Rien ne vous instruit mieux des conditions de la scène que le capharnaüm d’une répétition » disait-il.
Un espace de répétition pour les grandes pièces, une armoire… des armoires,pour les pièces en un acte.
… « Au théâtre d’art, tous ces détails avec les accessoires distraient le spectateur, l’empêchent d’écouter… Ils masquent l’auteur /… / Vous savez, je voudrais qu’on me joued ’une façon toute simple, primitive… Comme dans l’ancien temps… une chambre… sur l’avant scène un divan, des chaises… Et puis de bons acteurs qui jouent… C’est tout… Et sans oiseaux et sans humeurs accessoiresques… ça me plairait beaucoup de voir mes pièces représentées de cette façon-là… »
Evtikhi Karpov citant les propos de Tchekhov : mes deux dernières rencontres avec Tchekhov / in / Tchekhov dans les souvenirs -1954 / pages 575 et 576

La place du spectateur

J’ai choisi d’éclairer la salle, pour que les spectateurs soient dans la même temporalité que nous. Ils sont les partenaires qui nous manquaient pendant les répétitions.
Il y a un combat à mener avec le théâtre et l’acte de création en général, c’est contre ce qui s’assigne, capture, fige…
L’institution culturelle, par exemple, définit le rôle de chacun : ceux qui regardent et subissent, devant ceux qui imposent ce qu’ils font, dans une nécessaire hiérarchie du sens qui laisse l’expert dominer le jeu des images offertes aux spectateurs silencieux.
La nouvelle figure du spectateur, une figure en fuite.
Tchekhov interroge la construction ou la destruction de la place du spectateur.
Il nous révèle que les images ont un pouvoir humanisant et la distance qu’elles créent entre l’homme et ses émotions offre à celui-ci les conditions de sa liberté. A lui de ne pas subir les images, de les refuser.
L’histoire du spectateur est longue et complexe.
Elle est faite de courage et de peur, de langue et de deuil, de pouvoir et d’autorité.
Elle exige de nous aujourd’hui de ne pas céder sur notre liberté face à la violence des « industries du spectacle » qui nous rendent trop souvent consentants des productions spectaculaires, comme le rappelle encore Marie-Josée Mondzain.
Kant pensait que le spectateur de l’histoire la comprenait mieux que l’acteur parce qu’il jouissait du temps de la pensée et de la distance critique.
Le hors-champ, c’est à dire ce qui n’est ni dans le champ des mots ni dans celui de la scène, peut seul permettre de construire du sens, un récit signifiant.
Le message est précieux. Sans séparation, il n’y a pas d’image et l’homme est sans regard.
Tchekhov est le premier qui arrive à rassembler le social et le personnel à l’intérieur de drames, comme Edward Bond, dans le sens de la logique de l’imagination et de l’humain.
Il sort du théâtre qui peut imiter ces choses-là, car le théâtre est une expérience factice sans réel contenu.
Il ouvre une nouvelle voie : le drame.
Dès que nous parlons du drame, nous parlons de nous, l’individu dialogue avec cette société et sa représentation.
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